Voyager pieds nus, c'est possible
Comme
tous ceux qui tentent l'aventure du cheval pieds nus, j'ai beaucoup entendu
qu'au delà de courtes balades, voyager sans fers était impossible. Or l'été
2014, mon cheval Inal a achevé avec succès une traversée de l'Ouest de la
France, 1200 km en 22 jours, soit un rythme de quasi 55km par jour en moyenne,
avec beaucoup de bitume, pieds nus. Comment cela est-il possible ? Je n'ai pas
de réponse générale qui satisferait tout le monde, ni de formule magique, je
peux seulement partager mon expérience et ainsi donner quelques pistes de
réflexion pour ceux qui s'intéressent à la question.
Tout
d'abord un petit retour en arrière, à l'époque où j'ai acquis Inal, entier de
deux ans. Un cheval de race Kabarde, avec d'excellents pieds, ronds, plutôt
grands et durs. J'ai d'emblée décidé de tenter l'expérience de le laisser vivre
et travailler pieds nus, cela me
paraissait plus naturel et cohérent avec mon état d'esprit. Tout d'abord je
veux être claire: je n'ai rien contre les fers, je ne suis pas de ceux qui ne
jurent que par les pieds nus et dénigrent tout intérêt aux fers. Je le dis haut
et fort, si l'un de mes chevaux en a un jour vraiment besoin, je le ferrerai.
Par contre, je trouve aberrant de ferrer sans réfléchir à la nécessité de le
faire, sans comparer pour son cheval les avantages et inconvénients de cet acte
qui n'est pas anodin, même s'il est devenu coutumier.
Inal
n'a donc jamais été ferré. Pour les parages j'ai rapidement demandé au maréchal
ferrant de me former très sommairement : savoir quoi contrôler, quoi regarder,
et comment me positionner pour parer sans m'abîmer le dos. Mon cheval ayant des
pieds au départ bons et sans problème majeur d'aplomb, c'était plutôt facile.
J'ai complété cette formation par la lecture d'ouvrages de parage dit
« naturel », dont le résumé est simple : le cheval marche sur TOUT
son pied : paroi, sole, fourchette, contrairement à la vision classique du
maréchal ferrant qui pense qu'il marche sur la paroi. Si le cheval marche sur
tout son pied, il faut éviter de laisser pousser trop la paroi, pour que la
sole soit bien au contact du sol. En gros, en parant, on met la paroi au niveau
de la sole et on vérifie que le pied est équilibré. Rien de bien sorcier. Au
pire si l'on n'a pas l'œil on utilise un double décimètre. Beaucoup de
personnes hurlent lorsqu'on prétend pouvoir parer soi-même son cheval. Il y a
toujours de bons penseurs pour rabâcher « à chacun son travail ». Que
ceux qui le clament l'appliquent pour eux-même, moi je pense qu'un
propriétaire, surtout s'il a des envies de voyage en autonomie, doit savoir
faire lui même l'entretien de son cheval, soins des pieds et vétérinaires
inclus.
Pied à mi-chemin |
Pour
moi la plus grande difficulté lorsqu'on décide de travailler avec un cheval
pieds nus, c'est qu'il faut impérativement changer sa propre mentalité de
cavalier: renoncer à pouvoir utiliser le cheval à n'importe quelle allure sur
n'importe quel type de sol. Par exemple, on ne le fera pas galoper sur des
chemins en pierre, mais au juste, avait-on réellement le droit de le faire avec
des fers ? Est-ce qu'en ferrant son cheval, on n'a finalement pas pris
l'habitude d'abuser de son insensibilité pédestre pour faire un peu n'importe
quoi avec ? Le cheval pieds nus sait nous dire stop quand on va trop vite sur
tel type de terrain. C'est finalement un bon garde fou puisqu'il est sensible
du pied si l'on le pousse trop loin et donc dit stop avant d'abîmer le
squelette.
Il
faut aussi, quand on monte un cheval pieds nus, avoir la patience de laisser
les pieds durcir progressivement pour pouvoir évoluer sur tous les terrains. La
nature équipe le cheval en fonction de son environnement: de même qu'il fait
plus de poils l'hiver dans les climats plus froids, il durcit plus son pied
s'il est sollicité sans fers sur sol dur.
Enfin,
il faut considérer tout l'environnement du cheval, certains types de vie (box
notamment) ne permettent pas d'avoir un cheval pieds nus qui puisse évoluer sur
du travail long et rapide sur tous terrains: l'idéal étant une parcelle avec
un sol varié, dont des passages en pierre, ou, si le cheval est dans un champ
bien tendre, de le sortir très régulièrement sur des sols variés et durs.
Pied à mi-chemin |
La
plupart des cavaliers n'ont pas la volonté d'offrir cet environnement au
cheval, d'avoir la patience nécessaire à l'obtention d'un pied nu apte au
travail demandé et de renoncer à trotter et galoper sur les mauvais sols. D'où
les nombreux échecs du passage aux pieds nus qu'on peut entendre ou lire ça et
là. Enfin, il existe aussi des chevaux dont les pieds sont naturellement
fragilisés: à force de faire se
reproduire des chevaux aux mauvais pieds, on récolte parfois le pire.
A
mon avis, tout cheval ayant des pieds sains, un cavalier motivé prêt à offrir à
son cheval les conditions de la réussite, peut randonner pieds nus, voire
voyager sur du long et rapide comme nous l'avons fait avec Inal.
Lors
de notre voyage de 1200 km, j'avais au départ prévu d'utiliser des
hipposandales pour une partie du trajet, car l'objectif de ce voyage était de
montrer les capacités d'endurance des chevaux Kabardes, et non d'effectuer un
exploit pieds nus. Malheureusement, les sandales ont blessé mon cheval aux
glomes au bout de deux jours. J'ai donc décidé de lui faire poursuivre la route
pieds nus. Les trois autres cavaliers qui voyageaient avec moi avaient ferré
leurs chevaux. Heureusement, nous étions sur la même longueur d'onde,
puisqu'ils cherchaient aussi toujours le meilleur sol pour leurs chevaux. En
effet, le voyage use aussi bien les fers qu'il fatigue les membres, alors,
cheval ferré ou pas, il faut impérativement rechercher les bons sols. Nous
avons donc aussi souvent que possible évolué sur les bordures herbeuses des
routes, sur les chemins (rares finalement en voyage), mais il y avait également
une part importante de bitume. Le pire pour le cheval pieds nus, ce sont les
sols en-cailloutés. Le bitume lisse ne lui pose pas vraiment de problème, si
l'on reste au pas bien sur.
Le
plus important reste toujours d'être très à l'écoute du cheval. Il sait dire
lui même s'il a mal aux pieds (comme pour le reste d'ailleurs), il apprend très
vite à modérer lui même son allure selon le sol, et il faut lui faire
confiance.
Il
faut ensuite accorder un soin tout particulier aux pieds lors des étapes, voire
même à la pause du midi. Là où pour le cheval ferré on se contente souvent de
vérifier la tenue des fers, pour le cheval pieds nus il faut minutieusement
inspecter le pied, à la recherche d'usure plus prononcée d'un côté que de
l'autre, à rétablir à la râpe, et à la
recherche de petits cailloux pouvant se coincer dans la ligne blanche, et
s'immiscer dedans un peu plus à chaque pas, formant un trou qui pourra poser
problème par la suite. Il faut vérifier que ni la sole ni la fourchette ne
souffrent quand on tapote dessus avec un cure pied. On vérifie aussi bien sur
toute chaleur suspecte et l'absence de boiterie.
Le
pied nu bien paré, par contre, présente rarement des pourritures de fourchette.
Celle-ci, surtout quand le cheval avale les kilomètres chaque jour, est saine
et ne demande aucun entretien.
On
me demande souvent comment c'est possible d'avoir avalé ces kilomètres, étant
donné la rapidité d'usure des fers dans ce type de trajet. Effectivement, les
chevaux ferrés qui nous ont accompagnés ont usé deux jeux de fers, tellement
fins au bout de quelques jours que certains se sont fendus. Eh bien la réponse
est simple : les pieds nus ne s'usent pas du tout comme les fers des chevaux
ferrés. Et heureusement ! Mais c'est tout à fait logique, il y a beaucoup moins
d'amorti à chaque pas avec un fer métallique qu'avec un pied souple et mobile.
Comme pour nous, les semelles de nos chaussures s'usent, alors que les hommes
marchant pieds nus ne perdent pas le dessous de leurs pieds, au contraire, ils
fabriquent de la corne pour être plus efficaces. On croit souvent que le cheval
use ses pieds, mais ce qu'il use, c'est la paroi rigide, lorsque celle-ci est
trop longue. Si sa paroi est au niveau de la sole et la sole bien préparée à
l'effort, il n'y a pas de raison pour que le pied soit entamé... croire que le
pied s'entamera comme le fait le fer est un raccourci mental un peu précipité.
L'expérience
de ce voyage pieds nus est une expérience isolée qui n'est pas une preuve pour
l'ensemble des chevaux: au mieux on peut en déduire que voyager pieds nus sur
du long et rapide est possible pour certains chevaux dans certaines conditions.
Mais
c'est déjà pas mal. Car en matière de voyage à cheval, nous sommes sans cesse
dans l'obligation de faire des choix, d'où découle une forte responsabilité vis
à vis du bien être de celui qui nous porte. Cela suppose toujours une très
forte remise en question. Je pense que le pire ennemi du cheval, c'est l'effet
de croyances non réfléchies et appliquées bêtement. En matière de pieds, croire
que le fer est la panacée est aussi stupide que croire que le pied nu est la
panacée. Chaque couple cheval cavalier, en fonction de ses objectifs, en
fonction de son mode de vie, est unique et exige des choix cohérents. Il vaut
mieux se tromper et rectifier le tir plutôt que de suivre un protocole lu ou
appris quelque part et ne pas en démordre, malgré les signes clairs qu'envoie
le cheval. Je crois que tout cavalier capable de cette remise en question
pourra effectuer ce que l'avis général qualifie d'impossible.
Juliedebert
Sujet intéressant! Mais qu'est cette race Kabarde?
RépondreSupprimerbonjour Yves.
Supprimerc'est une race de hautes montagnes, dont le berceau est au Caucase (Kabardino-Balkarie, Russie).
Nous avons plusieurs chevaux de cette race, que vous pouvez voir sur notre site web, si cela vous intéresse : http://www.mirubeltxa.com
(n'hésitez pas à nous contacter si des questions subsistent après la lecture, nous sommes toujours ravis de faire connaître cette race ! )
A bientôt !
Superbe témoignage. Bravo Julie. Tout est dit et tout est juste et justifié. J'aime beaucoup ! Excellente continuation
RépondreSupprimerMerci ! :)
SupprimerAh enfin un témoignage qui correspond à nos expériences pieds nus : oui, les pieds nus c'est possible, facile, oui le parage pieds nus c'est facile....pour peu qu'on ait les bonnes attitudes, les bons environnements, du mouvement, du soin. Oui il est nécessaire que, je cite, : "le cheval marche sur TOUT son pied : paroi, sole, fourchette, contrairement à la vision classique du maréchal ferrant qui pense qu'il marche sur la paroi. Si le cheval marche sur tout son pied, il faut éviter de laisser pousser trop la paroi, pour que la sole soit bien au contact du sol. En gros, en parant, on met la paroi au niveau de la sole et on vérifie que le pied est équilibré. Rien de bien sorcier". Bravo Françoise Danrigal
RépondreSupprimerMerci Julie pour ce partage, j'apprécie particulièrement votre philosophie de non dogmatisme et de remise en question. Votre expérience est très intéressante et inspirante!
RépondreSupprimerPar ailleurs, envisageriez-vous de publier d'autres post sur ce voyage, notamment son organisation, la logistique lors de son déroulement, également les réactions, comportements et états physique des chevaux sur la durée de la randonnée? Je serai très intéressée par votre expérience , pour préparer mes propres voyages... Je ne suis sans doute pas la seule ;-)
Dans tous les cas, encore merci pour votre beau témoignage, je vous souhaite plein d'aventures avec Inal!
Mel
Merci ! Oui, je peux en faire d'autres. c'était un type de voyage que normalement je n'affectionne pas trop, car accompagnés d'une voiture-logistique et avec un objectif vitesse pour faire connaitre la race par une petite performance. Normalement, je préfère barouder en autonomie... Mais ceci dit, c'était intéressant aussi, car qui dit objectif vitesse, dit aucun bivouac prévu d'avance pour ne pas risquer de trop pousser les chevaux, ni de s'arrêter trop tôt pour rien... Donc pas mal de situations à raconter. Et surtout, j'aimerais bien écrire sur les étalons, puisque la troupe comportait 4 étalons qui se sont connus 3 jours avant le départ, et sont très vite devenus une bande de 4 potes, bien loin de l'image qu'on a des étalons, surtout en voyage !
RépondreSupprimerDans tous les cas, en attendant un article qui risque d'être long à ariver, vous pouvez regarder la page FB du périple, qui (si vous prenez le fil des actualités à l'envers), va déjà vous donner un bon aperçu ! Faire copier/coller de ce lien : https://www.facebook.com/1050kmpourleschevauxkabardes/
Bravo!
RépondreSupprimerBelle histoire et expérience!Texte intelligemment écrit!
J'aime beaucoup cette race de chevaux du Caucase!!
Pour l'instant j'en ai 4 de races autres.. Mais qui sait plus tard!! :-)
Tiphaine Riedi
Pour ma part mes camargue n'ont jamais étaient ferrer , ma jument a 21 ans et elle a fait cross, endurance, TREC, randonner et elle n'a jamais eu de problème de pied, la corne ce fortifie , serte il y a des chevaux sensible et des sabot moins résistant que les autre les chevaux a corne Blanche sont des chevaux plus sensible!
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